Quelques sophismes courants (Normand Baillargeon)


Qui veut assurer son auto défense intellectuelle gagne à savoir repérer les sophismes et les paralogismes.

Kécéksé ça, demandez vous? Rien de bien méchant. Ce sont tout simplement des raisonnements ou des modes d’argumentation qui ne tiennent pas la route et qui laissent typiquement entendre qu’on doit conclure à X alors que ce n’est pas le cas. La différence entre les deux est que le paralogisme est commis de bonne foi , alors que le sophisme est avancé avec l’intention de tromper.

Je vous présente ici des manières de ne pas raisonner juste. Le mieux, pour apprécier tout ce qui suit, est d’imaginer que vous jouez un jeu. Gagne à ce jeu la personne qui fait admettre une conclusion. La seule règle de ce jeu est que les coups joués doivent être rationnels, i.e. ils doivent tirer des inférences valides de faits qui supportent la conclusion. Ce qui suit, si vous voulez, ce sont donc autant des manières de tricher à ce jeu.

3.4.1 Le faux dilemme.

On fait croire (faussement) qu’il n’y a que deux possibilités; on donne ensuite à entendre qu’une est exclue; et on conclut que l’autre doit donc être vraie. Le hic, évidemment, c’est que, dans le cas en question, il n’y a pas que deux possibilités: le dilemme présenté est donc un faux dilemme. Exemples. “Ou la médecine peut expliquer comment elle été guérie, ou il s’agit d’un miracle. La médecine ne peut expliquer comment elle a été guérie. Il s’agit donc d’un miracle” (Divers charlatans). “Ou bien on diminue les dépenses publiques ou bien l’économie s’écroule”.(La propagande, depuis au moins vingt ans). On se prémunit contre ça en se rappelant qu’il y a plus de deux options.

3.4.2 La généralisation hâtive.

Ça consiste à généraliser trop vite et à tirer des conclusions à propos d’un ensemble à partir d’un trop petit nombre de cas. Le raciste commet ce sophisme quand il dit par exemple “Je connais X qui est québécois et il est bête comme une pelle sans manche, comme le sont d’ailleurs tous les québécois”.
On se prémunit contre ça en se rappelant qu’il ne faut pas généraliser trop vite et surtout en étudiant au moins un peu les statistiques, puisque la théorie de l’échantillonnage est la réponse savante à ce problème.

3.4.3 Le hareng fumé.

Les prisonniers en fuite, paraîtil, laissaient des harengs fumés derrière eux pour distraire les chiens pisteurs et les détourner leur piste. C’est le principe qu’on applique ici: le but de ce stratagème est de vous amener à traiter d’un autre sujet que ce celui qui est discuté. Les enfants sont parfois champions à ce jeu: “Ne joue pas avec ce bâton pointu” dit papa; “Ce n’est pas un bâton, c’est un laser bionique”, répond Camille. “Range ta chambre”, dit papa; “Tu ne l’as pas demandé à Camille”, répond Marie. À un autre niveau, on pourrait être tenté (ce serait un peu injuste…) de voir dans un certain travail médiatique une sorte de mégaharengfumé.
“Avezvous une idée de tout ce qu’on nous cache à propos de la Guerre en Afghanistan?”, demande Le Couac. “Avez vous entendu parler de cet enfant né avec deux têtes?”, répond Debilo Inquirer. “Voyez comme c’est inquiétant la privatisation de soins de santé”, insiste RectoVerso. “Saviez vous que Machin RadioTélé a rompu avec Truc BienConnu?”,répond Nécro Vedettes. Et ainsi de suite. Une variante très efficace de cette forme de diversion est d’évoquer un mal supposé pire que celui qu’on veut faire discuter et de laisser entendre que l’existence du deuxième dispense de traiter du premier. “Brûler de l’essence pour satisfaire des besoins en énergie pollue? Essayez avec le charbon: c’est bien pire!”. On se prémunit contre tout cela en demandant qu’on revienne au sujet.

3.4.4 L’Ad hominem.

C’est un autre moyen de détourner l’attention du sujet discuté et il peut être vraiment efficace. Ça consiste à attaquer la personne qui énonce une idée plutôt que l’idée elle même. Si quelqu’un avance devant vous une idée de Milton Friedman et que vous répondez “On sait bien: il est de droite” au lieu de chercher à comprendre et éventuellement réfuter l’idée, vous venez de commettre un Ad hominem. Ou encore: Einstein aurait été tueur à gages pour les Hell Angels que la relativité n’en serait ni plus vraie ni plus fausse. Ici encore, on se prémunit contre tout cela en demandant qu’on revienne au sujet qui n’est pas la personnalité de qui avance une idée mais bien la valeur de vérité de cette idée.

3.4.5 La pétition de principe.

C’est le raisonnement circulaire. En termes un peu plus complexes: ce raisonnement n’est pas valide parce qu’il inclut dans les prémisses la conclusion qu’il est supposé établir. En anglais,on dit begging the question, ce qui est peut-être plus “parlant”. Un exemple: L’un: “Dieu existe, puisque la Bible le dit”; l’autre: “Et pourquoi devrait on croire la Bible”; l’un: “Mais parce que c’est la parole de Dieu!” On se prémunit contre ça en repérant bien nos prémisses et en les distinguant des conclusions.

3.4.6 Post hoc ergo procter hoc.

C’est du latin et ça veut dire: après ceci, donc à cause de ceci. C’est un sophisme très répandu. Par exemple, c’est celui que commettent les gens superstitieux: j’ai gagné au casino quand je portais tels vêtements, dit le joueur; je porte donc les mêmes vêtement à chaque fois que je retourne au casino. Il arrive que le sophisme soit plus subtil et moins facile à identifier. Pour aller à l’essentiel: la science a recours à des relations causales, mais en science un événement n’est pas donné pour cause d’un autre simplement parce qu’il le précède. On retiendra surtout que le seul fait qu’un événement en précède (ou est corrélé à) un autre ne le rend pas cause du deuxième. Confondre corrélation et causalité est d’ailleurs une des premières choses qu’on apprend en statistiques. Dans un hôpital, la présence d’individus appelés médecins est fortement corrélée avec celle d’individus appelés patients: ça ne veut pas dire que les médecins sont cause de la maladie.

Normand Baillargeon (Petit cours d’autodéfense intellectuelle)'

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