Les icônes culturelles





Qu'est-ce que Master Dji, Black Alex, le "Wayal (kasav a manba)" et le drapeau haïtien ont en commun ? Ce sont tous des icônes ; dans la mesure où l’icône en tant que concept renvoie à des valeurs permettant de construire notre imaginaire. Laquelle imaginaire une fois partagée renvoie au concept d’icone culturelle. Lisez pour en savoir plus :

Nous définissons ici les icônes culturelles comme des figures emblématiques qui jouent un rôle central dans la construction de l'imaginaire collectif et la formation du sentiment d’appartenance
culturelle (Meyer, 2010). Personnages, objets, événements, rituels ou idées, les icônes sont omniprésentes, elles apparaissent dans les lieux publics, les institutions, la langue, les œuvres, le système éducatif, les médias, les conversations, les pratiques sociales, les produits culturels et de consommation. Ce sont des référents partagés, dont les significations explicites et implicites sont connues de tous, à des degrés variés toutefois. C’est le degré de familiarité qu’un individu entretient avec ces icônes qui détermine l’étendue de sa relation à sa propre culture, ou encore
l’intensité de son rapport à une culture étrangère.


Certaines de ces icônes, comme la Tour Eiffel, le vin de bordeaux, les escargots, Audrey Tautou, Vuitton ou Chanel, font partie de la représentation générale de la France et des Français,
elles opèrent comme des identifiants, des images immédiates, elles participent aussi à la production de lieux communs sur ce pays. D’autres icônes en revanche, comme le Goncourt, la « rentrée », l’abbé Pierre, les Guignols de l’information, la carotte du bureau de tabac ou la 2CV, sont plus généralement ignorées à l’extérieur des frontières, mais elles ne concourent pas moins au sens d’appartenance culturelle d’un individu et à la mémoire collective.


On le voit, l’icône (image) évoque plus que son sens générique d'objet qui signifie au moyen d'une ressemblance avec son sujet, telle qu’une photographie, une peinture, un portrait, une
sculpture. L’icône culturelle se situe déjà au plan d’un processus métonymique, qui implique une opération mentale de rapprochement et d’interprétation entre signifiant et signifié, comme lorsqu’on évoque une couleur au moyen d'un objet (un rubis, le soleil, l’encre). Il y a dans l’icône culturelle, comme nous l’avons dit, une forte dimension emblématique renvoyant par
l’intermédiaire de conventions socioculturelles et d’associations d'idées à des valeurs, des concepts. Mais les icônes ne se limitent pas à des symboles institutionnels ou historiques. Même si on peut l’y assimiler parfois (le drapeau, le coq français), une icône culturelle ne saurait être confinée à une image symbolique simple et de substitution, comme la colombe renvoie à la
paix, comme le marteau évoque le travail.


Il existe également, dans l’icône culturelle, une dimension contingente forte, nous entendons par là qu’il s’agit d’une matière accidentelle, dont la durée est hypothétique. Les icônes naissent et
meurent de manière arbitraire, elles sont remplacées, ou prolongées, ou subissent des mutations. Il est possible aussi qu’en tant que formes passagères, certaines renvoient à un concept unique, ainsi que le montrent ces exemples : les chefs français, de Marie-Antoine Carême à Marc Veyrat, représentent différentes réalités historiques d’un concept commun : la haute cuisine
française ; d’Aristide Bruand à Alain Souchon, en passant par Charles Trénet, des artistes divers renvoient au concept constant de la chanson française ; Cannes, la Palme d’or, Catherine
Deneuve sont autant d’icônes distinctes qui évoquent dans leur pluralité le concept du cinéma français ; enfin, les animaux domestiques, le tiercé et le loto, la pétanque, les vacances, sont
autant de marqueurs qui indexent le quotidien français, dans ses multiples manifestations. Les icônes culturelles sont des objets mis en lumière sur un espace scénique, observés et agréés
par le public. Depuis l’ombre, ceux qui observent ont en commun le paradigme de significations exprimé par ces objets. C’est cette mutualisation qui entérine l’appartenance culturelle des observateurs impliqués dans cette lecture. Le clocher d’une église, Coluche, mai 68, Brigitte Bardot, la Cocotte-Minute sont reconnaissables, ils signifient des aspects spécifiques et saillants de la France, qui ne sont pas ceux de l’Allemagne, ni des Etats-Unis. 


Ces figures iconiques sont ainsi surdéterminées, elles agissent en tant que signifiants collectifs : j’en partage le sens, donc j’appartiens. Toutefois, et c’est cela qu’il faudra prendre en compte
comme un facteur important dans la dimension didactique, chaque observateur reçoit ces icônes de manière distincte, car comme un écho de sa sensibilité propre, de son habitus, la matière scénique (iconique) se métamorphose à travers chaque lecture. On peut dire que la matière scénique est en devenir constant, qu’elle se prolonge chez ses lecteurs de manière protéiforme,selon l’opération mentale que lui fait subir chaque esprit. Ces rencontres lui imposent des inflexions, des directions, qui sont incalculables, imprévisibles, résultant de la somme d’expériences interprétatives individuelles.


L’icône culturelle se caractérise ainsi par sa capacité à rassembler, c’est son pouvoir minimal, mais elle rassemble à des degrés variés, c’est son pouvoir relatif. Dans sa forme déclarative, rassembler est sa « raison d’être » (elle n’existe que par cette fonction), mais elle est sujette, dans sa réception, par la variabilité de ses connotations, à des dérives, des formes tronquées ou au contraire dilatées. Produit communalisé à l’origine,l’icône culturelle, lorsqu’elle se fond dans la complexité d’esprits singuliers, devient lecture singulière, expérience unique.

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