Il y a injure et injure

 
l'injure, l'insulte et la diffamation; Qu'est-ce-qui différencie ces trois notions entre-elles? Une réponse dans cet extrait du texte de Dominique Lagorgette "Insulte, injure et diffamation : de lalinguistique au code pénal ?"

Lorsque l’on se penche sur la littérature théorique consacrée à l’injure, le premier problème qui émerge est tout d’abord en linguistique le doublet insulte/injure. Une lecture, même rapide,
des analyses disponibles sur ces notions montre des tentatives de définition qui chacune pose problème dans la mesure où les explications renvoient souvent l’une à l’autre. De plus, très
rares sont encore les études qui prennent en compte une autre notion, celle de diffamation , alors qu’affluent les termes (invective, outrage, dénigrement, axiologiques négatifs, termes de
mépris), suivant en cela l’usage des locuteurs (qui y ajoutent noms d’oiseaux, vacheries, voire gros mots, par exemple). Derrière cette question terminologique, qui peut sembler de l’ordre
du détail, se cache une réflexion sur les actes de langage blessant autrui, commune à deux disciplines mais soigneusement circonscrite à chaque domaine, comme si les deux champs ne
pouvaient gagner à comparer leurs analyses et leurs pratiques.


Ce sont pourtant les mêmes corpus d’actes de langage de type « insulte » qui sont passés au crible dans les tribunaux, étudiés par les analystes de discours et plus généralement par les linguistes s’intéressant à la question de la violence verbale. Mais en résumé, sous le terme d’injure, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont pensés car les critères d’analyse sont différents, et cette polysémie prête à confusion en brouillant les cartes. Pour les mêmes faits
de langue, là où le linguiste emploie « insulte » (ou l’un des termes de sa cohorte), le juriste hésitera entre « injure », « outrage » ou « diffamation », introduisant des critères nouveaux. A partir de là, la tradition et les pratiques pénales nous paraissent intéressantes au sein d’une réflexion linguistique sur l’insulte, et en particulier dans le cas du discours polémique, dans la mesure où, d’une part, le choix même de l’étiquette pour le délit qui sera ensuite jugé
présuppose une analyse métadiscursive dont nous n’avons pas l’habitude. Pour le linguiste s’intéressant à l’insulte, il nous semble que beaucoup d’éléments gagnent à être étudiés, en ce
qu’ils proposent une autre lecture pragmatique des énoncés, notamment en insérant la notion de fait, et tout ce qu’elle attire dans son sillage, avec la preuve mais aussi la faute.


De plus, le cas particulier du discours polémique, par son outrance, sa position de facto aux limites, ajoute encore des paramètres : l’humour ne rend-il pas obligatoire le dénigrement lorsqu’il s’exerce dans le cadre d’une réflexion politique (comme pour le procès LICRA / Siné ) ou d’une démarche musicale parodique (comme pour le procès France / Condkoï que nous verrons en détails) ? L’engagement idéologique dans un camp s’opposant à un autre, à ses valeurs, à ses représentations n’implique-t-il pas des positions radicales dont l’expression modérée invaliderait la sincérité dans l’esprit de leurs partisans ? Plus généralement, quels
critères a-t-on pour évaluer un fait comme drôle ? Lorsque l’on rit, dans le contexte polémique, est-ce parce que la manière de révéler une vérité sur autrui, généralement déjà connue (lorsqu’il
s’agit d’ « affaires », au sens de Vincent et al. 2011), est désopilante toute en confortant une opinion négative ? Et comment traiter cette épineuse question par le droit ? [...]


La diffamation, comme opposée à l’injure et à l’outrage, pose la question de la vérité. Comme l’analyse de manière remarquable Evelyne Larguèche (sous presse), ce terme même est loin
d’être aussi transparent qu’il n’y paraît, surtout lorsque l’interaction entre plusieurs personnes est en jeu, puisque la séduction du public par l’injurieur joue un rôle très important dans le rapport de places ; et bien sûr, la notion de vérité est toujours relative, puisque ce qui semble vrai à l’un (et aux autres) peut être faux pour l’autre (et les autres). Toutefois, même si cette analyse montre bien les mécanismes en jeu dans ce rapport insulte/vérité, la place des faits, envisagés en tant qu’actions ayant ou non eu lieu, telle que l’instaure au cœur même de son articulation le droit, n’en reste pas moins centrale : le code pénal, par sa formulation même d’un binôme injure/diffamation autour de la notion d’imputation (ou non) de fait, établit dans un cas la nécessité de la preuve et l’exclut dans l’autre. Cette vision des actes de langage blessants place donc au centre du raisonnement le paramètre de la vériconditionnalité des énoncés et de la justice des actes – mais aussi, tout bonnement, de leur existence même


L’outrance, à la source même du genre, alliée à la fonction du polémiste (journaliste, chanteur) semble impliquer de manière obligatoire la transgression des règles communes au groupe
social, faire rire (dans le cas que nous verrons) étant le but principal affiché par les auteurs, même si faire réfléchir est bien au programme – mais la connivence avec le public est elle aussi un présupposé central. Dans la logique explicitée par Gumperz, la création du we-group passe par l’exclusion des autres membres de la communauté ; dès lors, la séduction, dans sa double acception étymologique d’« amener à part » et de « séparer », prend toute sa saveur. Sans la transgression du bon goût, de la pensée consensuelle – tels qu’ils sont partagés par le we-group – peu de chances pour que le rire surgisse. Comme le souligne Pierre Rainville (2005 : 4), « en fait, l’humour passe souvent par l’acte de bravade ».


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