Que “fait” exactement le discours pornographique ?


La pornographie plaisir d'aldute, abomination pour certains, art pour d'autres, a son discours ou du moins est discours. comme on s'en doute bien, du moins depuis J. L. Austin, tout discours indépendamment du système sémiotique dans laquelle on le produit a son effet sur ses "recepteurs". Blogolidaire vous propose de découvrir, via un article de Marie Anne Paveau disponible sur : http://penseedudiscours.hypotheses.org/6729, ce que fait le discours de la pornographie. Pour des soucis métrique nous avons enlevé certaines parties du texte original.

Il existe un débat important dans les études féministes et en philosophie morale sur les effets de la pornographie sur ses lecteurs, spectateurs, consommateurs. La question est double : y a-t-il des effets ? et si oui en quoi consistent-ils et sont-ils nuisibles ou non ? Cette question n’est pas propre à la pornographie et s’est toujours posée à des époques diverses à propos de produits culturels considérés comme dangereux : ainsi le roman a-t-il été considéré comme nocifpour lesjeunes filles(danger qui n’est paséteint, si l’on en croit ce très récent post d’un site belge sur les questions de santé). Et l’on sait que les jeux vidéo font l’objet de ce type d’interprétation, régulièrement relancée par des affairesde violence mettent en cause des jeunes gens exposées à la culture du gaming : de Columbine à Winnenden pour finir par Utoeya toutrécemment, lesjeux vidéosont souvent accusésde produire de la violence réelle, en particulier chez les jeunes. Il commence à y avoir de nombreux travaux sur la question, en particulier chez les psychanalystes (par exemple : Yann Leroux, Vincent Lecorre, Michael Stora, Benoît Virole) qui permettent de relativiser et de refroidir quelque peu une question qui se transforme souvent en débat de société caricatural, exprimant plus une technophobie viscérale qu’une véritable réflexion socio-psychologique

Qu’il s’agisse des jeux vidéo ou de la pornographie, d’un point de vue linguistique et discursif, la question est celle de la performativité du discours, à partir de la célèbre proposition de J. Austin dans How to do Things with Words (1975 [1962]) : dire des choses, c’est faire des choses. Je me propose d’exposer les réponses disponibles à cette question du “faire” du discours pornographique (pour une synthèse plus générale sur la question, je renvoieà un bon billet de Mathieu Lahure sur le blog Implicationsphilosophiques).

 La réponse à la première question: 

est-ce que le discours pornographique fait quelque chose ? est donnée par la définition même de la pornographie, qui, même sous sa forme la plus extensive et la plus prudente (par exemple chez le minimaliste Ruwen Ogien dans Penser la pornographie), attribue à la pornographie, qu’elle soit textuelle ou iconique, au moins un effet d’excitation sexuelle (merci au twami pour la référence). Une fois cette première question réglée, il faut répondre à la seconde : la pornographie fait-elle autre chose (en même temps) que l’excitation sexuelle, de quelle manière, et ce qu’elle fait est-il nuisible ?

La réponse pornophobe. 

Je reprends le terme pornophobe de R. Ogien parce qu’il me semble désigner de manière assez exacte une approche de la pornographie où entre beaucoup plus de subjectivité, d’idéologie, de conviction personnelle et parfois de haine, que de réflexion et d’examen raisonnée du phénomène. C’est une réponse assez monolithique de condamnation de la pornographie, appuyée sur une conception de la sexualité relevant de ce que Norbert Campagna appelle “la conception de la nature des anciens”, que l’on trouve par exemple chez Saint Paul et Saint Augustin : l’acte sexuel n’étant accepté que dans l’objectif de la procréation, toute autre activité, et a fortiori la pornographie, qui compte à peu près tous les “crimes de la chair selon la nature” et les “crimes de la chair contre la nature” répertoriés par la morale chrétienne, est condamnée.
Cette conception est de moins en moins défendue explicitement, mais on en trouve des traces assez manifestes dans des discours qui reprennent la rigueur de ce type de condamnation en transposant lesinterdits en dangers pour la personne, en particulier pour l’enfant : siles représentations sexuelles que l’on nommegénéralement pornographiques sont considérées comme dangereuses, c’est en partie parce qu’elle dévient d’une “bonne” norme, qui est, sans que ce soit forcément dit, la norme naturelle. Une proposition de loi
récente déposée par un groupe de députésautour de Christian Vanneste, étudiée par Fred Pailler dans une série qu’il consacre actuellement à la question sur son blog Politique des
affects, constitue à cet égard un texte emblématique de ce type de pornophobie à substrat religieux et idéologique. Le texte demande l’interdiction de la pornographie pour les mineurs, en déployant une rhétorique pamphlétaire appuyée sur une normativité forte et une argumentation pseudo-scientifique : on y trouve un vocabulaire hyper-normatif et axiologisé (tentation, perversité, pernicieuse, fléau, etc.), une pseudo-argumentation appuyée sur le on-dit et le sens commun (“un enfant de 6 à 7 ans (comme on en rapporte
beaucoup de cas)”), des assertions non étayées et surtout une référence déformée à une étude scientifique : le texte signale en effet qu’une étude de l’INSERM menée par Marie Choquet en 2004 montre que les fillesfont deux fois plus de tentatives de suicide quand elles visionnent des films pornographiques alors que l’étude en question signale seulement que lesfilles qui regardent de la pornographie ont, parmi leurscaractéristiquesbiographiques, l’expérience d’une TS, ce qui est, on en conviendra, un peu différent. L’idée est alors de présenter comme une position scientifique un discours plutôt émotionnel et idéologique. 


La réponse libérale américaine 

appuyée sur le Premier Amendement. On en trouvera une description trèsdocumentée dans l’ouvrage de Marcela Iacub, De la pornographie en Amérique (2010). Il existe plusieurs théorieset des variations assez fines, mais, pour aller vite, le discours pornographique ressortit à la liberté d’expression, il s’agit d’un discours politique et il doit être reçu comme tel. Dans un article sur la performativité du discours pornographique, Bruno Ambroise cite la description qu’en font Rae Langton et Carolyn West(2003): [...]

Pour conclure, la question de savoir ce que fait le discours pornographique n’est pas bien différente de celle de savoir ce que fait le discours tout court. Toute profération de parole se jouant dans un environnement situé, toute parole “fait” quelque chose, qui varie considérablement selon la disposition des éléments qui constituent cet environnement. En ce sens, interdire certains discours pornographiques revient à interdire la possibilité du discours tout court, en ce qu’il produit des effets négatifs, ce qui semble assez peu raisonnable. Il n’est passûr en effet que le discours, qu’il soit pornographiqueou non, puisse seconstituer en question juridique ; il est sûr en revanche qu’il constitue une question pleinement sociale, au sens très large de l’environnement humain, où se joue la relation humaine, et en particulier la manière dont on rencontre l’autre, à tous les sens du terme, c’est-à-dire également cet autre soi qui nous est souvent inconnu.




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