De l'origine du racisme*

extrait du livre : Gènes, peuples et langue*

En général, n’importe quel peuple peut trouver de bonnes raisons pour se considérer, sinon comme le meilleur du monde, du moins comme l’un des meilleurs dans une activité : peu importe que ce soit la peinture, le football, les échecs ou la cuisine, le seul fait d’être très compétent dans une activité suffit souvent à accorder à celle-ci une importance plus grande qu’elle ne le mérite. La voie est ainsi ouverte à n’importe quel peuple pour qu’il se considère supérieur aux autres.

De nombreux autres mécanismes nous amènent à des conclusions racistes sans qu’il soit nécessaire de tenir la vedette ou tout simplement de vivre une période de succès. Voici un mécanisme qui me semble important : nous sommes tous liés à une série d’habitudes qui se trouvent à la base de notre vie quotidienne et auxquelles il serait difficile de renoncer. Or l’observation la plus superficielle montre qu’il existe des différences entre nos habitudes, nos coutumes, et celles des habitants d’autres pays. Même si nous ne connaissons pas la nature ou la source de ces différences, le simple fait qu’elles existent nous porte à les craindre. La nature humaine n’aime pas le changement quand bien même elle ne serait pas satisfaite de ce qu’elle a. Cet amour des habitudes et la crainte d’être forcé à les changer sont-ils suffisants pour nous encourager à nourrir envers nous-mêmes une complaisance qu’on pourrait appeler racisme ? Je crois que cette complaisance existe, et que nombre d’entre nous ont tendance à considérer qu’ils sont meilleurs que les autres : presque parfaits, ou suffisamment parfaits pour éviter d’opérer des changements importants. Naturellement, cette idée de l’importance des habitudes dans la genèse du racisme est une simple spéculation.

Qu’il y ait des différences entre les nations et les peuples, cela ne fait pas de doute, mais l’homme de la rue ne se demande pas à quoi elles sont dues. Langage, couleur, peau, goûts (en particulier la manière de cuisiner), façons de se saluer quand on se rencontre, ces différences sont là et nous convainquent que les autres ne sont pas comme nous. Nous en concluons normalement que nos habitudes et nos coutumes sont les meilleures. Tant pis pour les autres. Ce sont eux les barbares, comme le pensaient les Grecs. Bien sûr, une personne insatisfaite de la vie qu’elle mène dans son pays peut être prête à tolérer le manque de confort et même de sûreté lorsqu’elle se rend dans une autre région ou sur un autre continent. Il arrive alors qu’elle accepte de braver la nécessité d’apprendre des choses nouvelles. Mais en général on préfère, lorsqu’on le peut, rester dans le cocon où l’on est né, par peur de renoncer à ses habitudes [...]

*titre modifié par "Blogolidaire" titre original : Autres origines du racisme

*CAVALLI-SFORZA Luca. Gènes, peuples et langues. Paris : Odile Jacob, 1996.


Aucun commentaire

Fourni par Blogger.