La pub à la télé a-t-elle évolué ? C'est toujours le degré zéro de l'intelligence

La sémiologue Elodie Mielczarek se penche sur l'évolution de la publicité.

Il y a un peu moins de dix ans… A l’époque, le CSA avait interrogé différents responsables d’antenne sur la mise en scène des stéréotypes de genre et d’origine culturelle. Ceux-ci – en majorité des hommes – avaient rétorqué être le reflet de la société. Autrement dit, les rapports sociaux sont ponctués par des propos et comportements sexistes et/ou racistes. Il est donc normal que la publicité reprenne les codes de cette structure sociétale, souvent à son insu.

Quand on leur posait la question de la place des femmes à la télévision, ceux-ci nous répondaient : "il n’y a aucun problème sur notre chaîne", "il y a autant de femmes que d’hommes". Incapables de se rendre compte que :

La répartition quantitative homme-femme soit disant égale, camoufle une répartition qualitative inégale : 80% des experts sont des hommes, les femmes n’occupent pas les postes clefs dans les directions (PDG, directeur, versus secrétariat etc.), les femmes de la télévision sont sélectionnées pour leur apparence physique standard : mince, blanche et jeune.
Le rôle des femmes est très souvent cantonné à l’émotionnel, au pathos versus le savoir et la connaissance. Elles apparaissent ainsi souvent dans les JT en qualité de témoin passif et non d’acteur actif : une femme qui raconte son expérience malheureuse (témoin = prénom seul) versus l’entrepreneur-expert-sachent (sachant = prénom+non+ statut social)
La prise de parole féminine est liée à des thèmes spécifiques : la maternité, l’enfance, le foyer, et la séduction, principalement.
Et aujourd’hui ?

Afin de savoir si les choses avaient évoluées, j’ai analysé les pubs TV sur une semaine, en choisissant deux créneaux dans la journée sur, alternativement, trois chaînes différentes :

Entre 12h et 13h30 et entre 19h50 et 21h ;
Sur TF1, W9 et M6.
L’idée est de comprendre les mécanismes sous-jacents opérants lors de ces créneaux. En voici les principaux résultats :

Alimentaire, corps dénudés et hygiène

La place de l’alimentaire est ahurissante ! Pratiquement une publicité sur deux concerne ce domaine. Et on ne parle pas de produits "sains" ou "frais" mais bien de produits industriels chargés de conservateurs et de substances dont on sait aujourd’hui qu’elles sont mortelles consommées à haute dose.

La sollicitation permanente de notre cerveau reptilien sur ce besoin fondamental, manger, est quasi obsessionnelle. "Temps de cerveau disponible" ou neuromarketing, tout est fait pour que vous consommiez. Devant l’énormité des gâteaux, des crèmes, des burgers, des céréales, toujours filmés en très gros plan, la petite phrase obligatoire "manger, bouger" paraît ridicule. La télévision est le médium par excellence des grands groupes industriels. Nous sommes conditionnés pour aller chez Leclerc, Intermaché&Co. Sans alternative proposée.


Les corps dénudés sous le moindre prétexte (gel douche, etc.) sont toujours présents. Un changement toutefois : la nudité n’est plus réservée aux corps féminins. Il y a autant de femmes que d’hommes à poils sur nos écrans de télé. C’était moins vrai il y a quelques années. Mais aujourd’hui, la réification du corps (c’est-à-dire sa transformation en objet) touche autant le masculin que le féminin.

Nous sommes bien dans une ère hygiéniste qui donne grande importance au paraître.

Après l’alimentaire vient en second le thème de l’hygiène/séduction. Hygiène de soi (déo, dentifrice, etc.) ou de son intérieur (la maison, les draps, etc.). C’est le corps à travers le regard de l’autre qui prime. A travers des procédés quasi voyeuristes, il faut se montrer sous ses meilleurs atouts. C’est également le règne de la blancheur et de la fraîcheur. Bien sûr, le terme « blancheur » convoquent des signes liés au matériel (les objets sont blancs : draps, dents, etc.) mais également des symboles qui renvoient à l’origine culturelle : que des peaux blanches pour représenter la pureté du blanc.

"Maman, toujours là pour nous"

Les thèmes liés au féminin n’ont pas changé d’un iota. Dès qu’il y a un enfant, il y a toujours une mère. Seule une publicité sur les 105 analysées montre un père en train de faire la lessive et préparer le repas (publicité pour la marque Boulanger) ! Ainsi le cliché de la femme au foyer à la vie dure : "maman sait exactement ce dont on a besoin", "maman, toujours là pour nous", les pubs de la rentrée nous ont comblés ! Jamais actrices, toujours potiches, les femmes doivent se contenter de séduire, entretenir la maison et s’occuper des gosses (toujours une maîtresse d’école par exemple, jamais un maître…).

Tout ce qui est lié à l’absorption est féminin ! Chose étonnante de prime abord, toutes les publicités alimentaires qui mettent en scène l’absorption du produit le font à travers un gros plan sur la bouche d’une femme. Sans doute plus psychanalytique, ce phénomène s’explique par la métaphore de l’organe-sexuel en bouche-plaisir. Dans son interprétation des rêves, Freud explique en effet que la plupart des orifices symbolisent le féminin. Ainsi la qualité du produit se traduit par un orgasme alimentaire. Toujours la même scène: une cuillère ou fourchette métallique qui pénètre pleine bouche rouge.

Enfin, on le savait déjà, mais pourquoi l’acceptons-nous ? La répétition des mêmes spots publicitaires s’effectue inlassablement. C’est le degré 0 de l’intelligence. On nous prend pour des rats de laboratoire. Basée sur le principe pavlovien du conditionnement, la publicité n’a pas évolué depuis le temps de la réclame. Ca va faire un siècle ! En rien novatrice et toujours débilitante, la pub est un champ codifié sclérosé. On peut toujours se rassurer en se disant que nous sommes conscients, et pas si stupides. Pourtant, la publicité reprend exactement les mécanismes manipulatoires de la propagande politique. Elle arrange les cerveaux à sa convenance.

Jean-Louis Missika avait prédit la mort de la télévision. C’est le mieux qui puisse nous arriver !

Elodie Mielczarek,sémiologue

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