Qu'est-ce que la mondialisation?

Lorsqu'on parle de mondialisation, on fait généralement référence à trois processus. Le premier concerne l'accroissement des échanges transnationaux de telle sorte que les entreprises ne rivalisent plus seulement à l'intérieur d'un territoire national mais partout dans le monde. Le corollaire de cet accroissement est que la nature même de la concurrence internationale a changé. Les entreprises utilisent les nouvelles technologies de l'information pour répartir leurs activités productives là où les prix mondiaux des facteurs sont les plus bas (M. Castells, 1996). On peut ainsi transférer des emplois des pays industrialisés vers les pays du Tiers-Monde parce qu'il est possible d'y contrôler les usines, de transférer les savoir-faire, et que les salaires y sont suffisamment bas pour compenser les coûts supplémentaires de transaction ainsi qu'une éventuelle baisse de productivité (H. Shaiken, 1990).
La deuxième acception de la notion de mondialisation fait référence à la montée des «Tigres» du Sud-Est asiatique (Taïwan, Singapour, Corée du Sud, etc.), aux dépens des emplois dans les pays industrialisés de l'Europe et de l'Amérique du Nord. On attribue la croissance rapide de ces économies à plusieurs facteurs: des processus de développement pilotés par l'État, qui ont engendré des infrastructures, des facilités d'investissement, une forte accumulation de capital humain, la stabilité politique et l'ouverture aux capitaux étrangers (R. Wade, 1990; Y. Akruz et C. Gore, 1996; J. Campos et H. Root, 1996; P. Evans, 1995; World Bank, 1996).
La troisième acception de la mondialisation insiste sur le développement spectaculaire des marchés financiers mondiaux de l'endettement, des actions et des devises. Les observateurs critiques de ces marchés (Harvey, 1990; F. Block, 1996; M. Castells, 1996) considèrent que les sommes vertigineuses qui s'y échangent au jour le jour révèlent l'incapacité des banques centrales à contrôler les flux de devises. Qui plus est, sur ces marchés, les spéculateurs peuvent attaquer la monnaie de tel ou tel pays s'ils considèrent que les politiques économiques qu'il poursuit pourraient conduire à augmenter son taux d'inflation ou ses taux d'intérêt. Le marché mondial de la dette restreint également la politique fiscale de tout pays en augmentant le coût du crédit. Pris ensemble, les marchés financiers mondiaux feraient que les gouvernements se trouvent contraints de poursuivre des politiques monétaires et fiscales restrictives qui favorisent des taux d'inflation bas, une croissance économique lente et la résorption des déficits publics.
On considère généralement que la croissance de l'économie mondiale et sa dépendance accrue envers les technologies informatiques ont plusieurs effets néfastes sur les pays industrialisés. D'abord, la désindustrialisation (le déclin du secteur manufacturier par la fermeture d'usines) signifie que des emplois ouvriers bien rémunérés sont en voie de disparition (B. Bluestone et B. Harrison, 1984). Ces travailleurs étant souvent peu qualifiés, ils éprouvent le plus grand mal à retrouver un emploi. Cette réserve de salariés non qualifiés crée les conditions d'une pression à la baisse des salaires ouvriers.
Deuxièmement, les emplois créés par l'économie mondiale sont prioritairement destinés aux individus jouissant d'un niveau de qualification élevé - ceux que Robert Reich (1992) appelle les «manipulateurs de symboles». Ces travailleurs sont mieux rémunérés parce qu'ils possèdent les qualifications et les savoirs requis par la nouvelle économie des services. Leur productivité étant élevée, leurs salaires augmentent continûment. L'impact conjugué de ces deux tendances produit un ensemble d'effets pervers: le revenu du capital humain s'accroît pour ceux situés en haut de l'échelle des qualifications tandis qu'en bas il baisse, ce qui crée à la fois plus de revenu sociétal et plus d'inégalité des salaires.
Les gouvernements se retrouvent piégés par ces deux aspects de la mondialisation. La demande de services publics augmente du fait de la montée du chômage et de la détérioration des bas salaires. Les gouvernements tentent de répondre à cette demande en mettant en oeuvre des politiques fiscales expansionnistes, mais celles-ci se heurtent à la contrainte «extérieure». D'une part, les gouvernements ne peuvent pas imposer plus les entreprises qui risqueraient alors de se délocaliser (ce qui aggrave la désindustrialisation en décourageant la formation de capital). D'autre part, ils doivent éviter de creuser les déficits budgétaires, car, sinon, les marchés mondiaux des devises feraient baisser la valeur de leur monnaie nationale (ce qui a pour effet d'augmenter les taux d'intérêt et le financement des déficits et, partant, de ralentir l'activité économique).

Ainsi, les gouvernements nationaux se trouveraient dans l'incapacité de répondre à la mondialisation qui engendre la désindustrialisation en même temps qu'un accroissement des inégalités. Les gouvernements vertueux ne peuvent qu'adopter des politiques économiques visant à réduire l'inflation, les barrières douanières et la protection sociale, avec l'espoir d'attirer des investissements étrangers pour stimuler la croissance.

Neil Fligstein (Rhétorique et réalités de la «mondialisation») : Actes Numéro: 119. Septembre 1997.
Économie et économistes. page 36



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