Quelques remarques sur le langage : Dénoter/connoter

Texte issu du livre « Petit Cours d’autodéfense intellectuelle *»

La plupart des gens ont une conception bien naïve du langage et selon laquelle les mots désigneraient des objets du monde, objets que l’on pourrait autrement pointer du doigt. Une minute de réflexion montrera que rien n’est aussi simple. Les mots réifient, transmettent des émotions et des jugements et ainsi de suite. Les linguistes disent que non seulement ils dénotent mais aussi connotent.

Il est crucial de le savoir. On peut ainsi glorifier ou dénigrer ce dont on parle par le seul choix des mots. En fait, il arrive que ce qu’un mot connote soit dans une substantielle mesure sinon le contraire du moins bien autre chose que ce qu’il évoque à première vue; ce mot a d’ailleurs pu être soigneusement choisi pour cela. Prenez par exemple l’expression: “pertes collatérales”: avouez que ça a tout de même une autre gueule qu’assassinat de civils ! Prenez encore ce libre échange qu’on nous vante partout: il se trouve que dans une mesure non négligeable les transactions économiques, dans notre monde, ne sont pas des échanges (ce sont des transferts intra firmes) et ne sont pas libres — ils sont au contraire très fortement encadrés.

Dans une société comme la nôtre, ce n’est donc qu’à nos risques et périls qu’on ignorera cette distinction entre dénoter et connoter et toute personne qui désire assurer son autodéfense intellectuelle sera donc très attentive aux mots qu’on utilise pour lui décrire le monde. Voici un exemple rapporté et étudié par Sheldon Rampton et John Stauber (dans: Trust us, we’re experts, Penguin, 2001, chapitre 3) et qui montre comment les institutions dominantes peuvent utiliser cette propriété du langage. En 1992, l’International Food Information Council (IFIC), puissant lobby américain, s’inquiète de la perception du public des biotechnologies alimentaires. Un vaste programme de recherche est donc mis en place pour déterminer comment parler au public de ces technologies. Au total, des mots seront retenus pour leur charge positive et il sera recommandé de s’en tenir à eux: beauté, abondance, enfants, choix, diversité, terre, organique, héritage, métisser, fermier, fleurs, fruits, générations futures, travailler fort, amélioré, pureté, sol, tradition, entier.

D’autres sont à proscrire absolument: biotechnologie, ADN, économique, expérimentation, industrie, laboratoire, machines, manipuler, argent, pesticides, profit, radiation, sécurité, chercheur.

Moralité? Y’en a pas vraiment. Mais les implications pratiques se laissent tirer d’elles-mêmes

*Baillargeon Normand. Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Montréal : Lux, 2005. p 15,16.

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